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Les histoires du centre


Midi, l’heure la plus délicate pour Olivier. A midi les employés de bureau viennent nombreux errer dans les rayons de M&S. Cette foule subite est le camouflage idéal pour les voleurs de la pire espèce. Olivier le sait. Olivier est agent de sécurité. Et comme tous les jours à midi sauf le dimanche Olivier a peur.
A côté de lui, Damien, même costume un peu trop juste d’agent de sécurité et même talkie-walkie qu’Olivier qui est d’ailleurs son supérieur. En fait ils se ressemblent énormément à un détail près, il est midi et comme tous les midis de la semaine sauf le dimanche Damien s’en fout. Il n’en a absolument rien à faire, il ne s’en est jamais préoccupé, et jamais de sa vie il ne se souciera des douzes coups du carillon à quartz du magasin. Damien quand il est midi pense toujours à la même chose, il a faim et on ne mange pas avant une heure. Le problème est donc simple, tenir jusqu’à une heure, songer à autre chose, passer le temps.
Au même instant Clémence franchit la porte du magasin. Clémence est jeune, Clémence est jolie, Clémence est un peu cleptomane.
Occupé à ne surtout pas penser au déjeuner Damien marche à travers les rayons en essayant, pour passer le temps, d’avancer sans mettre le pied sur les carreaux noirs de la moquette carrelée noir et blanche du magasin. Au moment très délicat de l’angle gauche du fond il relève un instant la tête et découvre Clémence de dos en train de faire mine de choisir un pantalon. Pour Damien qui n’a pas jusqu’alors connu de trop fortes émotions ce n’est pas la foudre qui le traverse de part en part à cet instant, c’est plutôt un grand silence et la disparition subite et totale du monde qui l’entoure. Rien ne subsiste de l’univers hormis lui et le dos qui s’incline légèrement à deux mètres de lui. Damien vient de trouver le sens de sa vie. Suivant du regard ce sens de la vie en train de se diriger vers les cabines d’essayages un son très désagréable le rappelle sur Terre. Il s’agit de son supérieur lui demandant par talkie-walkie :
- « Damien, Damien est ce que tu me reçois ? »
Hélas oui, il ne le reçoit que trop bien, les quelques secondes de délicatesse ont cessé.
- « J’ai un suspect en visuel, genre louche, je me cale sur lui façon sous-marin, tu fais un tour du côté des cabines pendant ce temps ? »
Si c’est le chef qui le demande. D’un pas nerveux, Damien se dirige le moins lentement possible vers les cabines où le dos vient de pénétrer. Elles sont toutes vides à l’exception de la femme qui vient d’entrer dans la numéro deux. Un coup d’œil à gauche puis à droite, personne en vue. Damien se baisse et regarde les pieds de l’inconnue en train d’ôter sa robe. il n’a jamais été aussi heureux que les portes des cabines ne descendent pas jusqu’au sol. Il admire la danse improvisée des chevilles et des pieds en train de glisser dans un pantalon de velours noir. Le spectacle est fascinant et il faut un réflexe rapide à Damien pour ne pas être surpris par la femme sortant de la cabine. En faisant semblant de contrôler les autres cabines Damien a manqué le visage de la femme, à peine a-t-il entraperçu une main délicate pousser la porte. Quand il essaye à nouveau de voir son visage il est trop tard, déjà elle lui tourne le dos. Elle s’éloigne et disparaît au coin de l’allée. Bientôt elle sera trop loin. Que faire ?
La retenir.
Comment ?
Damien a une vision. Il se voit, seul chez lui ce soir, il se morfond et ne cesse de penser à ce qu’il aurait dû faire à ce moment précis. Tout plutôt que cela se dit-il alors. Avec une volonté qu’il ne se connaît pas il fait un pas puis un autre. Jamais de sa vie il n’a eu plus conscience du lien entre jambes et cerveau. Il est porté vers elle, il se rapproche, son parfum et ses cheveux se mélangent, tendre la main, dire un mot, qu’elle se retourne, n’importe quoi mais qu’elle se retourne, MAINTENANT.
Qu’est ce que c’est ?
Damien vient de brutalement s’arrêter. Ce fut très rapide, même pas une seconde, pourtant il a vu. Il a vu la main, le sac ouvert, pas trop juste ce qu’il faut, il a vu le flacon de parfum d’exposition, il l’a vu disparaître de l’étagère de verre où il était placé. Une voleuse, c’est une voleuse ! Damien relève la tête, Olivier le regarde, il s’est rendu compte de quelque chose. A serrer la fille de si près il a dû attirer l’attention d’Olivier sur elle. Pas de doute, ce regard c’est celui du chasseur de grandes surfaces. Damien venait de la trouver, celle dont tous les hommes ont confusément besoin, et voilà qu’un moment plus tard il va causer sa perte. Ne pas paniquer se dit-il, encore une vingtaine de mètres entre lui et moi, agit fait quelque chose. Saisissant son talkie il fait bipper celui d’ Olivier, pendant la fraction de seconde où celui-ci baisse le regard pour voir qui l’appelle, Damien actionne l’alerte incendie qui par chance se trouve juste à côté. Bien sûr tout ceci est filmé, bien sûr on va lui demander des comptes, bien sûr, mais jamais il n’a été aussi convaincu d’avoir fait l’unique chose à faire.
Dans la panique qui succède à son acte un peu insensé, ( mais toutes ces choses que l’on fait par amour ne le sont-elle pas ? ) l’inconnue disparaît peu à peu, mélée à la foule qui s’échappe. Damien reste un peu bêtement planté au même endroit. Peut-être est-ce mieux ainsi. Peut-être doit-on rester parfois sur le bord du chemin. Préférer l’esprit du geste au geste lui même.
Une heure plus tard Damien se retrouve dans la salle vidéo avec Olivier et un autre type qu’il connaît à peine. C’est un peu confus mais il comprend qu’on lui en veut, qu’on le prend un peu pour un détraqué et qu’il serait souhaitable qu’il démissionne. De toute façons on a comme qui dirait des preuves contre lui, alors ne rend pas cela plus difficile que ça ne l’est déjà etc, etc… Il a donc démissionné, il a rendu son costume trop court et son talkie, a fermé son casier une dernière fois et mis le cadenas dans la poche de son blouson. Il rentrera par le 190.
Clémence est sortie du magasin sans problème. Cette alerte incendie quelle aubaine, d’autant qu’elle sentait bien qu’elle avait été plus ou moins repérée. Mais bon c’est bien la dernière fois se jure-t-elle. Cette coïncidence c’est un signe, il faut qu’elle s’arrête.
« Avant d’être moi même arrêtée ! » pense-t-elle. Elle rit un peu avant de se dire que le jeu de mot est vraiment nul. Le rire reste un peu, maladroit, s’efface rapidement. Non, il manque quelque chose, cette vie n’est pas si drôle.
« Ma pauvre amie, voilà à quoi tu en es réduite en guise d’excitation. C’est plutôt pauvre tu ne crois pas ? Mon dieu ce que je peux m’ennuyer. »
Elle franchit rapidement les allées du parking vers sa voiture, une twingo verte qu’elle vient d’acheter d’occasion. Elle met le contact, le moteur tourne rond deux seconde et s’arrête net.
« Et merde, c’est pas vrai. » dit-elle après avoir vainement tenté de redémarrer sans succès. Elle réfléchit puis se dit qu’à cette heure le mieux est encore de rentrer chez elle par le bus. Une fois là-bas elle appellera son père, il pourra alors l’aider. Ce n’est pas encore l’aventure mais c’est déjà ça, une ballade en bus fera un petit dérivatif à ses tristes pensées.
« Le plus simple c’est encore de prendre le 190, il me dépose en bas de l’avenue si je me souviens bien .»
A l’arrêt de bus elle ne remarque pas tout de suite Damien assis à côté d’une grand-mère et de sa petite fille. Lui par contre n’arrive pas à s’en remettre. Ces mains, ces cheveux… Il se penche légèrement pour voir son dos puis revient sur son visage.
Pas de doute.
C’est elle.
Ecrit par Kolia, le Vendredi 27 Décembre 2002, 14:37 dans la rubrique Mes histoires.